Les silences du synode (par Bertrand LESAGE)
6 décembre 2024
Les silences du synode
par Bertrand Lesage
Sans doute, avez-vous déjà entendu parler de la déclaration synodale du 25 octobre 2024 mais vous n’avez probablement pas trouvé le temps ni l’énergie de la lire en détail et en entier (il faut dire que le texte est particulièrement long et écrit dans un style peu accessible). Ma charité va donc jusqu’à vous proposer la synthèse qu’en a produite Vatican News :
Il s'agit d'impliquer tout le monde dans le «cheminement quotidien avec une méthodologie synodale de consultation et de discernement, en identifiant des moyens concrets et des parcours de formation pour parvenir à une conversion synodale tangible dans les diverses réalités ecclésiales» (9). Dans le document, les évêques en particulier sont beaucoup interrogés sur leur engagement en faveur de la transparence et de la responsabilité, tandis qu’un travail est en cours pour donner plus d'espace et de pouvoir aux femmes. Les deux mots-clés qui émergent du texte -traversé par la perspective et la proposition de conversion- sont «relations» -qui est une manière d'être Église- et «liens», sous le signe de «l'échange de dons» entre les Églises vécu de manière dynamique et, par conséquent, pour convertir les processus. Ce sont précisément les Églises locales qui sont au centre de l'horizon missionnaire, fondement même de l'expérience de la pluralité de la synodalité, avec tout ce qui a trait au service, précisément, de la mission avec les laïcs de plus en plus au centre et acteurs. Dans cette perspective, le caractère concret de l'enracinement dans le «lieu» ressort fortement de ce document final. »
Bon cela étant dit, le catholique français, même s’il parvient à comprendre le propos que je viens de citer et dont le sens profond ne saute pas nécessairement aux yeux du vulgaire, se demande certainement en quoi ce texte pourrait le concerner.
Je veux parler, en premier lieu, de l’effondrement quasi-total de la pratique catholique dans notre pays. Tous les indicateurs statistiques sont orientés dans le même sens – pensons à l’accès aux sacrements, aux admissions dans les séminaires ou les noviciats, ou même à la part de pratiquants parmi les élèves ou les enseignants des écoles libres ! Les études sociologiques montrent en outre la quasi-disparition de la pratique dans les classes populaires et sa forte réduction dans les classes moyennes. Le catholicisme quand il concerne les jeunes et les mâles tendrait à devenir le marqueur social de la bonne société (ou de ce qu’il en reste).
Au-delà des nombres bruts, des études plus fines confirment d’ailleurs la gravité du mouvement engagé et qui semble inéluctable : la moyenne d’âge des catholiques pratiquants est supérieure à l’âge légal de la retraite – quant à celui des prêtres il excède 70 ans, le nombre des ordinations représentant le dixième de celui des décès. Et pourtant les journaux en parlent aisément (p ex le Nouvel Obs 29 mai 2021) ! il s’agit d’un sujet qui n’est à ma connaissance jamais inscrit à l’ordre du jour des assemblées de la conférence épiscopale ni des synodes diocésains.
Mais ne faut il pas élargir le questionnement et aborder, en second lieu, un sujet douloureux. Je veux parler des fruits du concile Vatican II. On sait la vague d’optimisme qu’avait soulevée la « nouvelle Pentecôte » qui devait rendre à l’Eglise un visage jeune et joyeux – un visage de nature à attirer de nouveaux fidèles et à revigorer les anciens malgré les grognements des « prophètes de malheur » dont les avertissements devaient être méprisés (et le furent d’ailleurs résolument).
Nous avons tous en tête les incroyables efforts effectués en France par le clergé et les fidèles pour mettre en œuvre de la façon la plus radicale possible les textes (un peu) et l’ »esprit » (surtout) du Concile et ainsi partager « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent ».– On se souvient, par exemple des mains tendues aux frères séparés, aux frères aînés, aux non-croyants… sans omettre les communistes. Nous n’avons pas oublié le passage de la soutane au clergyman puis du clergyman à la chemise à carreaux. Ni la transformation de la confession en réconciliation, de la messe en célébration eucharistique, du latin au français ; de l’orgue à la guitare. Combien de chrétiens sociologiques attachés aux traditions furent choqués – combien de défenseurs des libertés s’étonnèrent de la soudaine complaisance des clercs pour les régimes autoritaires – mais après tout, ils n’étaient sans doute que des bourgeois de la Foi !
Eh bien oui, cher lecteur, nul n’a oublié l’immense chantier ouvert dans la joie en 1965 pour reconstruire cette Eglise dont nous sommes les pierres vivantes. Un chantier dans lequel se sont engagés quasiment tous nos évêques et tous nos prêtres, et une bonne part des laïcs. Un chantier qui d’ailleurs n’était sans doute pas entièrement nouveau et pouvait légitimement s’inscrire dans la continuité de l’action catholique initiée dans les années 1930. Une mobilisation dont la sincérité était incontestable. Au passage, on a sans doute aussi un peu (voire beaucoup)insulté, voire persécuté plus ou moins discrètement mais toujours assez fermement tous ceux qui n’adhéraient pas avec assez d’enthousiasme au cours nouveau. Ils étaient d’ailleurs les seuls (au moins jusqu’en 1988) à ne pas bénéficier de la stratégie d’ouverture ou de dialogue qui était officiellement promue tous azimuts.
Posons cette question : qui a dressé un bilan de l’efficacité de cette pastorale nouvelle ? A-t-elle un lien avec l’effondrement statistique que chacun connaît ?
De quoi parlent les catholiques français aujourd’hui (pour s’en réjouir, s’en étonner ou s’en inquiéter) ? il s’agit de l’intérêt croissant des jeunes pour la liturgie traditionnelle. La cause du phénomène est mystérieuse : adhésion à une forme liturgique plus directement liée à la théologie de l’Eucharistie ? imitation de nos frères aînés ou musulmans qui trouvent naturelles les célébrations en langue sacrée ? attirance pour le silence ou pour le chant grégorien ? meilleure qualité des prédications ?
Avant même de juger, c’est-à-dire de porter une appréciation sur les faits, ne faudrait-il pas simplement inviter nos pasteurs à admettre leur existence et, peut-être y voir un de ces « signes des temps » que justement le concile nous demande scruter ? et dans un second temps, nous demander si une Eglise en sortie vers les périphéries ne pourraient elle pas un peu moins admirer l’abbé Pierre et un peu plus écouter les jeunes en marche vers Chartres ?
« Qui suis-je pour juger ? »
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