Quand la Tradition liturgique attire les jeunes

Quelques réflexions de Ph PELISSIER 



1 – Une surprise pour beaucoup

De nombreux observateurs se montrent surpris, d’ailleurs parfois très favorablement, par l’intérêt des jeunes pour la forme traditionnelle de la liturgie catholique ainsi que par la forte proportion de jeunes parmi les fidèles attachés à cette liturgie. Cette surprise s’explique probablement par l’impact d’une idée reçue typique de notre époque et typique des anciennes générations (en particulier celles qui furent jeunes avant le pontificat de St Jean-Paul II !) : les jeunes aimeraient le progrès, rechercheraient systématiquement la nouveauté et aspireraient à une rupture radicale avec un passé dont ils ne voudraient plus entendre parler. Ils devraient donc automatiquement rejeter la liturgie traditionnelle et adhérer, non moins automatiquement, à la réforme de St Paul VI. 

Cette analyse était sans doute très présente chez les réformateurs ecclésiastiques des années 1960. Ceux-ci pensaient rendre la liturgie plus attrayante et l’Église plus attirante en préconisant, par exemple,  des formes musicales non seulement plus variée mais aussi et surtout plus modernes (à commencer par l’accompagnement par la guitare), l’usage de la langue vernaculaire (et la marginalisation, voire la suppression du latin), le rejet des attitudes contraignantes (comme l’agenouillement ou communion sur les lèvres) et la mise en scène de gestes simples à comprendre (comme le signe de la paix ou la position du célébrant face aux fidèles). Si cette analyse pouvait être exacte pour la période considérée, est-elle encore adaptée à l’époque contemporaine ? Les jeunes des années 20 du XXIè siècle partagent ils les idées des jeunes des années 60 du XXe ?


2 – Y aurait-il des raisons liées au contexte?

Un premier élément de réponse serait une sorte d’application à l’Eglise de “l’effet Streisand”. Rappelons que cette formule désigne le phénomène suivant : ce qui est interdit susciterait (au moins dans les sociétés occidentales contemporaines) non pas le rejet mais la curiosité – entre nous, c’est dire l’étendue du discrédit de l’autorité dans nos opinions publiques et la force du libre arbitre… L’ancienne liturgie présenterait donc, sinon le goût de l’interdit, du moins un côté un peu piquant par les restrictions qui lui sont infligées et qui pourrait justement conduire des jeunes à venir voir – au moins pour se faire une idée… 

Pourquoi pas ? mais est-ce décisif ? On peut aussi penser que les jeunes catholiques (qui pourtant ne lisent pas La Croix) ont très bien compris la situation minoritaire qui est la leur (en France au moins) et portent donc sur les rites de leur propre Eglise, un regard différent qui prend en compte la connaissance qu’ils ont des coutumes des autres cultes. Ils auront aisément pu noter l’extrême intérêt des intellectuels, des enseignants et des journalistes pour d’autres cultures et d’autres religions – aux rites très éloignés du missel de Paul VI – et qui sont restées très attachées à des formules liturgiques anciennes, voire archaïques (impliquant par exemple l’usage d’une langue cultuelle non vernaculaire ou des prosternations spectaculaires). Dès lors, l’apparente immutabilité des cérémonies musulmanes ou juives tend à devenir une quasi référence. 

On pourrait aussi élargir le propos en observant l’effet un peu paradoxal de la meilleure connaissance que nous, catholiques de 2024, avons désormais des autres religions monothéistes que nous fréquentons aujourd’hui quasi quotidiennement. Celles-ci s’enracinent consciemment dans des références largement étrangères à notre culture nationale (et donc plus ouvertes à l’universel ?) et cherchent même à se situer en dehors du temps contemporain (et donc plus ouvertes à l’éternel ?). 

Au contraire, depuis 1970, l’Eglise demande aux catholiques d’utiliser une liturgie qui se présente consciemment comme contemporaines (même si on peut estimer qu’elle est surtout typique de la France des années 60-70 et donc déjà un peu démodée…) et les  prive du droit d’accéder aux formes pratiqués par leurs parents, leurs grands-parents et leurs aïeux depuis probablement plus d’un millénaire. 

En notant cela, je ne me permets pas de critiquer les liturgies de St Paul VI qui sont fondées sur un missel à la validité incontestable sur le fond, dont on peut trouver aisément des exemples de célébrations tout à fait dignes et priantes, notamment lorsqu’elles sont célébrées par le pape ou un évêque. Je note simplement que l’idée d’une liturgie adoptée à la mentalité contemporaine est étrangère à la plupart des autres religions. 

En outre, l’exaltation des traditions culturelles les plus diverses (que ce soit dans les pays en voie de développement ou dans les régions périphériques des États-nations) a finalement légitimé une approche du présent fondée sur le respect et l’amour des racines – même lorsque celles-ci peuvent paraître étrangères et difficiles à comprendre. On y ajoutera également que les autres religions souvent donnent un exemple d’enracinement communautaire régulièrement loué par les médias. Là où le catholicisme officiel a fait le choix de se définir comme une religion d’élection que l’on doit choisir indépendamment de ses parents, de ses frères, de sa famille ou de ses amis. 

Ces phénomènes culturels et psychologiques expliquent peut-être largement l’intérêt des jeunes pour la forme traditionnelle, mais je ne crois pas que ce soit là l’essentiel. Ce sont plutôt des facteurs secondaires et convergents qui facilitent la mise en œuvre d’autres considérations beaucoup plus fondamentales.


3 – Un nouveau regard sur le passé

Cette situation ne suffit pas, à mon sens, à épuiser le sujet mais crée simplement un contexte favorable à la découverte de la Tradition par les jeunes. Je pense qu’il faut aller plus loin et nous interroger sur le sens profond de la messe et sur la mission de l’Eglise. C’est certainement ce sens profond que recherchent les jeunes catholiques à Chartres ou ailleurs. Je crois que les jeunes catholiques ont changé depuis les années 2000 et ne ressemblent plus à leurs parents ou grands-parents, imprégnés des idées qui ont accompagné le Concile. En effet, comprendre ce qu’est la Messe n’était probablement pas la préoccupation prioritaire des jeunes catholiques des années 1945-1990. Exposés à l’époque à l’influence de pensées marxiste ou freudienne qui dominaient la scène intellectuelle française, mobilisés sur les grands enjeux politiques, économiques et sociaux d’un temps de changement et de multiples remises en cause, les jeunes d’alors vivaient certainement plus leur foi comme un engagement fraternel, l’action primant sur la spiritualité. Et si les interrogations spirituelles n’étaient pas absentes, elles s’exprimaient plus sous la forme de débats ou de discussions ouvertes que sous celle d’un recueillement solennel et silencieux. 

En outre, le passé et tout ce qui y était associé faisait l’objet d’un rejet général et profond. L’aspiration à la Révolution – même non violente – des intellectuels et des jeunes les conduisaient à condamner le passé, qu’il soit féodal, bourgeois ou fasciste. Par voie de conséquence les fidèles étaient conduits à éprouver un sentiment de malaise, voire d’hostilité, l’égard de gestes dont la légitimité venait, pour une part au moins, de leur ancienneté. 

Cette attitude s’est effacée progressivement avec cette génération qui est en train de passer et dont on peut dire qu’elle est largement restée fidèle aux idéaux de sa jeunesse mais n’est guère parvenue à transmettre sa foi à ses propres enfants. Pour commencer, j’ai l’impression que la société contemporaine (en France du moins) est en train de procéder à une redéfinition du concept de religion. Là où le jeune catholique des années 50, 60, et 70 se préoccupait de la condition ouvrière, de la lutte contre la faim dans le monde ou de la promotion de la paix entre les nations, le jeune catholique du XXIe siècle est invité à retrouver ce qui fait la base d’une religion (la foi et la morale). 

Reconnaissons à ces catholiques des circonstances atténuantes en observant les thèmes mis en avant par les encycliques pontificales depuis 1891  et  Rerum novarum : Quadragesimo anno de Pie XI en 1931 ; Mater et Magistra en 1961 ; Pacem in terris en 1963 ; Populorum progressio en 1967 ; Octogesima adveniens en 1971 ; Laborens exercens en 1981 ; Sollicitudo Rei Socialis en 1987 ; Centesimus annus en 1991 ; Caritas in veritate en 2009 ; Laudato si en 2015 …Bref, l’Eucharistie était vraiment vécu par les Fidèles comme la source et le sommet de la vie chrétienne comme l’ont proclamé le Concile Vatican II (LG n°11) et Jean-Paul II (Ecclesia de Eucharistia en 2003).


4 – Retrouver le sens de la Messe ?

J’ai le sentiment que le jeune catholique est aujourd’hui parvenu à beaucoup mieux connaître et comprendre les bases de sa foi que ne pouvaient le faire ses parents ou grands-parents plongés par l’Action catholique dans une ambiance beaucoup plus concrète, sociale, voire économique ou politique. Cela résulte sans doute de l’effort de formation engagé à l’initiative des papes saint Jean-Paul II et Benoît XVI. Cela étant, l’approfondissement de la foi catholique amène nécessairement à s’interroger sur l’Eucharistie et à en comprendre la définition exacte, qui est très éloignée, par exemple, de celle de nos compatriotes calvinistes. Il n’est pas besoin d’être un grand expert pour constater que la liturgie traditionnelle coïncide beaucoup plus visiblement avec la définition catholique de l’Eucharistie que certaines célébrations qui, certes, ont reçu de St Paul VI  un texte dont la rectitude théologique est  incontestable (par exemple en employant explicitement le terme de sacrifice) mais qui, par leur forme souvent joyeuse et fraternelle, ressembleraient plus à un repas amical qu’à l’ « actualisation » du sacrifice du Christ. C’est cela qu’expriment les gestes liés à la liturgie traditionnelle. Le silence : ouverture au mystère et priorité à la prière d’adoration et d’action de grâce. L’agenouillement signe d’humilité devant le Roi du monde réellement présent dans l’hostie. La position du prêtre qui regarde vers l’Orient, lieu du levée du soleil, tel un berger marchant à la tête de son troupeau. L’autel, inspiré de celui du Temple de Jerusalem avec les deux chérubins) qui est le lieu du sacrifice renouvelé sous une forme sacramentelle. La communion reçue sur les lèvres et à genoux autre manifestation de la foi dans la présence réelle. La langue latine, forme tangible de l’universalité et l’intemporalité assumées par cette liturgie… 

Bref la messe serait désormais plus clairement appréhendée par le fidèle comme un moment d’union à Dieu et non un rassemblement d’amis (avec la présence discrète et spirituelle du Christ) aussi sympathique soit-il, ni une conférence à finalité culturelle voire sociale …

Il faudrait au moins se poser la question : serait-cette coïncidence de la forme et du fond qui attirerait tant de jeunes vers les messes traditionnelles ?

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